Retour à La Paz, part. II
Je glande pendant deux jours dans
l'onctueuse chaleur de Lima (et profite des scéances de ciné à 1,20
USD) avant de me décider à affronter l'air raréfié de l'Altiplano. Six
semaines auparavant, à l'aller, j'avais fait d'une traite le trajet La
Paz-Lima en bus; 30 heures non-stop (à part pour des contrôles
douaniers très latinos), ce qui doit être mon record toutes
catégories: même la traversée de l'Inde en train dans sa plus grande
largeur ne m'avait pris me semble-t-il que 28 heures...
Peu
enthousiaste à l'idée de revivre cet enfer en sens inverse, j'opte pour
une technique mixte: Avion de Lima à Juliaca, petite ville au bord du
Lac Titicaca, puis bus jusqu'à La Paz, avec une nuit d'arrêt forcé à
Puno. Un tiers plus cher qu'à l'aller, mais normalement bien moins
crevant.
Si de l'extérieur l'avion de la compagnie locale n'a
rien de particulier, l'intérieur à une apparence défraîchie qui fait
passer la flotte d'EasyJet pour des jets privés grand luxe. Après avoir
fermé la porte, l'avoir contemplée d'un air dubitatif, rouverte puis
refermée, l'hôtesse va finalement chercher deux de ses collègues
masculins qui la rouvre pour la claquer comme une vulgaire portière de
Fiat 500. Ils affichent un air du genre "c'est pas top mais ça devrait
tenir". Bon, de toute façon, étant en T-shirt, en cas de
dépressurisation à 10.000 m, je devrais être instantanément cryogénisé
avant même d'avoir pu saisir le masque à oxygène.
Mais la vieille carcasse tient bon, et après un peu plus d'une heure de
vol nous nous posons à Arequipa, à 2800 m. d'altitude, pour une courte
escale, puis redécollons pour un court vol de 20 minutes vers Juliaca.
L'appareil passe juste entre les deux plus haut sommets de la région,
dont les pics enneigés jouent à cache-cache avec les nuages; la vue est
spectaculaire. La trajectoire l'est aussi; toutes les conditions sont
réunies pour avoir un maximum de turbulences, et les gosses présents
dans la carlingues ont juste le temps de remplir les sacs à vomi avant
l'atterrissage.
Accueil en grande pompe à l'Aéropuerto Internacional de Juliaca
(dont la modernité et la superficie rivalise avec une vieille gare de
banlieue européenne) par un groupe de musique andine qui s'époumone
dans ses flûtes, sans doute pour achever le touriste qui aurait par
miracle survécu à l'altitude. Je viens de passe de 0 à 3900 m. en deux
heures, et j'ai l'impression que mon cerveau fait des bulles.
J'arrive
à Puno juste à temps pour constater que quelle que soit la saison,
lorsque la nuit tombe, on se les gèles toujours autant dans ce bled où
seul les restaurants à touristes exhibent de manière obscène leur
cheminée ardente (et je préfère ne pas penser à l'origine du bois qui
crépite...). Une fois à l'hôtel, je me glisse dans le lit croulant sous
les couvertures en collant et T-shirt, ne laissant dépasser que la
télécommande pour zapper sur les 49 chaînes du câble.
Le lendemain, j'arrive à La Paz en fin
d'après-midi; je me suis levé à six heures du matin pour prendre un bus
qui n'est arrivé que vers 12 h 30, avec plus de 5 heures de retard sur
l'horaire, une performance inédite due à un problème mécanique. Des
contrôles de douane, de la police antinarcotique et de l'armée - rien
que ça - nous font encore perdre une heure sur la route, et c'est
finalement vers 18 heures que j'arrive dans l'appartement désert, avec
mes bagages au grand complet; un bel exploit au vu du chemin parcouru
depuis Genève...